Apprendre plus efficacement : ce que les neurosciences enseignent, ce que les pratiques psychocorporelles apportent
Volet 1 - Développer son attention
Que nous soyons parent ou enseignant, on aimerait tous que nos enfants/adolescents/étudiants tirent profit au maximum des apprentissages qu’on leur propose à la maison ou à l'école. Malheureusement ce n'est pas toujours le cas ! Mais grâce aux avancées des neurosciences, nous comprenons de mieux en mieux les conditions qui maximisent la capacité d’apprentissage.
Ainsi d’après Stanislas Dehaene, psychologue cognitif, neuroscientifique et professeur au Collège de France, les sciences cognitives ont identifié au moins 5 grands facteurs clés que l’on peut qualifier de « piliers de l’apprentissage » dans la mesure où ils jouent un rôle déterminant dans la vitesse et la facilité de l’ensemble des apprentissages scolaires :
- L’attention
- L’engagement actif
- Le retour sur erreur
- L'entrainement
- L'hygiène de vie
Je vous propose une série de 5 articles pour explorer chacun de ces piliers en présentant d'une part les enseignements des neurosciences sur le fonctionnement du cerveau dans les apprentissages et d'autre part les apports de la sophrologie et de la méditation de pleine conscience comme outils pédagogiques pour faciliter les apprentissages.
Pour ce premier volet, zoom sur l'Attention, pilier fondamental pour un apprentissage réussi !
Vous retrouverez en bas de l'article toutes les sources sur lesquelles je me suis appuyée pour la rédaction de cet article. Bonne lecture !
Au coeur des apprentissages : la plasticité cérébrale
Pendant longtemps, les scientifiques ont cru que le cerveau se développait durant la grossesse et la petite enfance, connaissait un pic de performance vers la vingtaine puis déclinait progressivement, avec chaque jour la perte de milliers de neurones, sans qu’aucun nouveau ne réapparaisse.
Aujourd’hui, les progrès considérables des neurosciences et les nouvelles techniques d’imagerie montrent que le cerveau est un système dynamique en perpétuelle transformation tout au long de la vie et qu'il possède une caractéristique fondamentale : il est plastique, c'est-à-dire qu'il dispose d’une grande capacité à remodeler ses connexions en fonction de l'environnement et des expériences vécues.
La plasticité cérébrale (on parle de neuroplasticité ou encore de plasticité neuronale) est la clé de voûte des apprentissages. Comme l'indique Steve Masson, Professeur à l'Université du Québec à Montréal, Directeur du Laboratoire de recherche en neuroéducation et auteur d'Activer ses neurones :
«La structure du cerveau n'est pas figée dans le temps ni déterminée uniquement par les gènes. Elle change continuellement au fur et à mesure que la personne apprend et interagit avec son environnement. Cela constitue l'une des découvertes les plus fondamentales des neurosciences modernes»
Lors des apprentissages, de nouvelles connexions entre les neurones du cerveau se créent et une fois créées, ces connexions peuvent se renforcer ou s’estomper, voire même disparaitre. C'est cet ensemble de changements dans les connexions neuronales qui permet d'acquérir de nouvelles connaissances, de nouvelles habilités et de nouvelles compétences. Si elle ne cesse jamais, la plasticité cérébrale est particulièrement effective durant les périodes de l’enfance et de l’adolescence qui sont des périodes essentielles pour les apprentissages.
Les neurosciences ont mis en évidence qu'il existe au moins 5 grands piliers qui ont une action positive sur la plasticité cérébrale et permettent une optimisation du fonctionnement cognitif durant l'apprentissage. L'attention est le premier de ces 5 piliers.
Ce qu'enseignent les neurosciences sur l'attention
L’attention est la capacité de percevoir et de capter différentes informations qui proviennent
- soit de notre environnement par nos sens (signaux sensoriels : visuels, auditifs, olfactifs,...)
- soit de notre état interne (pensées, émotions, ressentis, état physiologique,...)
et de filtrer, dans ce flux incessant de stimuli externes et internes auxquels nous sommes confrontés, ce qui nous parait important de ce qui ne l’est pas.
Selon la définition donnée par Jean-Philippe Lachaux, chercheur à l'Inserm en Neurosciences cognitives, l'attention est un processus de sélection, d'activation et de facilitation de certains réseaux de neurones aux dépens des autres.
Le problème c'est que l'attention est très instable et programmée depuis des millions d'années d'évolution pour être sensible à deux moteurs très puissants :
- La survie - Afin d'assurer notre survie, le cerveau analyse en permanence ce qui nous entoure afin de rediriger l'attention vers les menaces pour pouvoir s'y adapter - On parle d'attention réflexe
- La recherche du plaisir - Le circuit de la récompense, qui nous fait éprouver un sentiment agréable, nous pousse à accorder de l'attention à ce qui nous plait, nous motive et nous donne un plaisir immédiat (lire mes SMS, échanger sur les réseaux sociaux,...) - On parle d'attention basée sur l'émotion
La concentration, qualifiée également d'attention volontaire, est quant à elle la capacité à réussir à maintenir l'attention sur une cible, à se focaliser et à stabiliser son activité cérébrale. Il s'agit d'une fonction cognitive fondamentale aux apprentissages. Selon Jean-Philippe Lachaux «un cerveau attentif s'implique beaucoup plus, réagit mieux, comprend mieux et mémorise mieux ... on ne peut quasiment rien apprendre sans une capacité d'attention stable».
En situation d'apprentissage, tout l'enjeu pour les enfants/adolescents/étudiants est d'apprendre à piloter ce système attentionnel fragile pour l'entraîner à rester fixe sur une cible visée, une tâche ou une action précise et à éviter les distracteurs, c'est-à-dire à développer leur concentration.
L'attention chez les jeunes
Mais la maîtrise de l'attention n'est pas un exercice évident pour nos jeunes. En effet, dans un monde de surstimulation numérique avec internet et les réseaux sociaux, les sollicitations sont illimitées, les cibles attentionnelles démultipliées et l'attention est captée, ce qui fatigue le cerveau et n’optimise pas la concentration nécessaire aux apprentissages de l'enfant/adolescent/étudiant.
Au delà des distracteurs externes, les distracteurs internes perturbent également l'attention des jeunes. Ainsi, les préoccupations, le stress, l'anxiété, la fatigue, le manque d'intérêt ont un impact direct sur l'attention et donc sur les apprentissages. Quand on pense à autre chose, quand on est préoccupé par quel que chose, cela occupe de l'espace dans l'esprit et cet espace n'est plus disponible pour apprendre.
Nombreux sont les professeurs qui se plaignent de faire face à des élèves de moins en moins capables de se concentrer longtemps sur le même sujet dans les salles de classe et les amphithéâtres. Il ne s’agit pas ici de parler des jeunes présentant un TDA/H (Trouble Déficit de l'Attention et/ou hyperactivité) ou un trouble de l’apprentissage pour qui la capacité d'attention immédiate est plus courte que les autres jeunes de leur âge (et qui méritera un article spécifique) mais du manque d’attention dont souffrent en général tous les jeunes à un moment donné ou l’autre de leur scolarité.
Une enquête réalisée par Microsoft auprès de jeunes Canadiens de 18 à 24 ans révélait en 2013 que la multiplication des écrans, les réseaux sociaux comme Snapchat et le nombre d'heures passées à zapper l'information avait fait diminuer fortement le niveau d'attention. Les jeunes avouaient à 77% que la première chose qu'ils faisaient lorsqu'ils s'ennuyaient était d'attraper leur portable. La moitié consultait un smartphone toutes les 30 minutes.
Estimée à 12 secondes dans les années 2000, la capacité de concentration des "digital natives" serait passée à 8 secondes en 2013 alors que les poissons rouges arrivent à tenir leur attention 9 secondes !
Selon certains experts, l’attention serait le nouvel or noir de notre siècle, c'est-à-dire une ressource précieuse et monétisable qu’il faut capter, comme un gisement dans lequel il suffit de puiser. Les GAFA l'ont d'ailleurs bien compris.
« Nous passons d’un monde où le pouvoir informatique était limité à un autre où il est presque sans limites, et où la véritable rareté est maintenant l’attention humaine » Satya Nadella, PDG de Microsoft
Pour le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, la problématique de l’attention à l’école n'est autre qu’un "enjeu de civilisation".
Garder la maîtrise de son attention est donc devenue une compétence fondamentale à acquérir pour nos enfants/adolescents/étudiants !
La bonne nouvelle c'est que les réseaux neuronaux de l’attention sont plastiques, comme les autres systèmes neuronaux, et qu'il est possible d'apprendre à devenir plus attentif et à rester plus facilement concentré sur une tâche donnée.
L'attention, ça s'apprend et ça s'entretient et la sophrologie et la méditation de pleine conscience sont deux pratiques psychocorporelles particulièrement adaptées pour la développer. Leur pratique régulière est très efficace pour aider les enfants/adolescents/étudiants à stabiliser leur attention.
Cultiver son attention avec la sophrologie et la méditation de pleine conscience
Bien que différentes, la sophrologie et la méditation de pleine conscience visent toutes deux à entrainer la stabilité attentionnelle avec des techniques spécifiques.
Le travail sur la stabilité attentionnelle est au coeur de la méditation de pleine conscience et s'appuie sur un entrainement mental pour développer deux types d'attention :
– Attention focalisée (concentration) : cela consiste à exercer un contrôle volontaire et soutenu de l’attention, focalisée sur une cible attentionnelle comme par exemple une partie du corps, la respiration, un son, une image, un objet...
– Attention ouverte (contemplation) : cela consiste à ouvrir le champ de l'attention à l'ensemble des stimuli de l'expérience présente, à être simplement attentif de manière ouverte au moment présent et à l’expérience en cours, sans chercher à la contrôler ou la juger
La sophrologie, qui s'appuie sur un entrainement du corps et de l'esprit, propose également dans un certain nombre de ses pratiques un travail sur la stabilité attentionnelle qui permet de :
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Se détendre et/ou de lâcher-prise pour retrouver un état de calme, grâce à la régulation de la respiration, condition indispensable à l'attention et la concentration
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Mobiliser et élargir son attention grâce à la détection des sources de distraction internes (pensées, émotions, état physiologique) et externes (bruits, sons, signaux visuels, olfactifs …) et au vécu du moment présent en conscience
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Optimiser sa concentration en développant sa capacité à sélectionner un seul objet de focus, à le détailler et à résister à la distraction pendant une période plus ou moins longue
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Travailler sur des techniques spécifiques de gestion du stress et des émotions, états qui sont incompatibles avec les apprentissages
Les exercices de sophrologie ont pour point commun d'impliquer :
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Une intention (l'objectif, ce que vise l'exercice : par exemple, développer l'attention à une partie du corps,...)
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Des consignes de réalisation de l'exercice que l'enfant/adolescent doit respecter et des consignes de vécu de l'expérience de l'exercice (pleine présence à ce que je fais, dans l'instant présent, …)
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Une activation corporelle et/ou mentale (ce que je mets en place pour arriver à mon objectif)
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Des prises de conscience de l'effet de l'activation sur ses sensations, émotions et pensées
Les séances de sophrologie et de méditation de pleine conscience vont être spécialement adaptées aux enfants/adolescents/étudiants en leur proposant des exercices simples et ludiques, adaptés à leur âge. Pour les plus jeunes, les exercices prennent la forme de jeux, d'histoires ou de contes métaphoriques .
Je vous propose ci-dessous 2 exemples de pratiques destinées aux plus jeunes.
Deux exercices pour favoriser l'attention avant de se mettre au travail
Le jeu de l'arbre - Méditation de pleine conscience
Tu te tiens debout, les yeux fermés, les bras le long du corps, et tu ressens tes pieds, comme enracinés très profondément dans la terre, et tu se sens ainsi solidement attaché.
Puis, à l'inspiration, tout doucement, tu relèves les bras au dessus de la tête et tu t'étires très fort, très loin, comme si tes bras étaient les branches de cet arbre qui essaye d’attraper le soleil.
A l'expiration, tu redescends lentement les bras le long de ton corps.
Puis, tu prends quelques minutes pour ressentir tout ce qu’il se passe dans son corps, du bout de tes doigts tout là haut dans le ciel, jusqu’au bout de tes pieds tout au fond dans la terre.
Tu recommences 3 fois
Le jeu de la cible - Sophrologie
Tu t'installes debout confortablement, tes yeux sont bien ouverts. Puis, tu vas imaginer devant toi la cible d'un tir à l'arc.
Tu prends une grande inspiration, et tu places tes bras comme si tu cherchais à tirer à l’arc : pour cela, tu places le bras gauche tendu devant toi à l’horizontale, et tu amènes ton poing droit au niveau de ton épaule, coude tendu vers l’arrière. Toute ton attention est focalisée sur la cible.
Puis tu souffles, en lançant ton poing droit vers l’avant, comme si la flèche venait toucher le centre de la cible.
Tu relâches tes bras le long du corps, mains ouvertes, tu respires librement et tu fermes les yeux.
Et tu écoutes ce qu'il se passe en toi
Tu recommences l'exercice une seconde fois, puis de fais de même avec l'autre bras.
Astuces pour aider l'enfant/adolescent/étudiant à développer son attention
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L'aider à comprendre les mécanismes de l'attention pour appliquer des stratégies cognitives gagnantes
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Le cerveau est sensible à la distraction
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Apprenez lui à identifier les distracteurs internes (pensées, rêverie, état interne,..) et les distracteurs externes (notifications, bruits, …) pour mieux s'en détourner
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Proposez lui d'organiser son espace de travail de façon à limiter les distractions potentielles
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Le cerveau n'est pas efficace lorsqu'il réalise plusieurs tâches à la fois donc une tâche à la fois
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S’il ne sait pas pour combien de temps il en a, le cerveau s’affole. Le fait d’avoir un horizon temporel facilite la concentration : proposez-lui de fixer une durée dans ses devoirs
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Si une tâche est trop complexe, lui proposer de la décomposer en sous-tâches simples faciles (chacune avec une intention spécifique) à exécuter et qui seront réalisées les unes après les autres et espacées dans le temps
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Lui proposer un rituel de sophrologie ou de méditation avant de faire ses devoirs ou avant un examen, cela lui permettra de créer une bulle temporaire d'attention, d'apaiser les émotions désagréables vécues dans la journée et de s’engager plus volontairement dans une démarche d’apprentissage. L' exercice de la concentration sur le souffle, de la cible ou de l'objet de concentration peuvent être utilisés dans ce but car ils favorisent la concentration
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Pour certains jeunes, le mouvement peut-être d'une grande aide pour maintenir leur attention dans les apprentissages, en effet le mouvement corporel joue un rôle important dans l’acquisition et la compréhension des concepts abstraits comme l'ont montré les travaux en neurosciences de Manuela Macedonia. Vous pouvez proposer au jeune d'apprendre en mouvement ou de faire des pauses actives avec des exercices de relaxation dynamique de sophrologie de quelques secondes à quelques minutes entre les apprentissages
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L'aider à développer une écologie de l'attention : éviter les écrans le matin/soir au coucher, imposez des temps sans écrans, proposez lui de lire, soyez vigilant(e) vis à vis de son sommeil car t'attention est sensible à la fatigue,...
Rendez-vous prochainement pour le deuxième Volet de cet article qui portera sur le 2ème pilier d'un apprentissage réussi : l'engagement actif !
Vous êtes parent/enseignant et souhaitez que votre enfant/vos élèves développe(nt) une capacité d'attention plus stable ?
Faites lui/leur découvrir et expérimenter la sophrologie et la méditation de pleine conscience !
Sources
Neurosciences et attention
Sciences et Avenir/La recherche - Les supers pouvoirs du cerveau - N°896 - Octobre 2021
Steve Masson - Activer ses neurones pour mieux apprendre et enseigner - éd. Odile Jacob, 2020
The Conversation - Qu’est-ce que la plasticité cérébrale ?
Catherine Vidal - la plasticité cérébrale
Conférence internationale OCDE/CER - Comprendre le cerveau : naissance d’une science de l’apprentissage
Stanislas Dehaene - Collège de France - 2015 - L'attention et le contrôle exécutif
Entretien avec Jean-Michel Lachaux - Qu'est-ce-que l'attention ?
Les Echos - Développement personnel : l'attention, ça s'entraîne !
Dauphiné Libéré - Notre capacité d'attention, plus faible que celle du poisson rouge
Magazine de l'apel - Famille & Education - Sept-Oct 2019 - Attention Concentration
Manuela Macedonia - Apprendre avec son corps - Pour la science - 2019
Sophrologie et Méditation
Sabine Pernet - Blog - Travailler la concentration et l’attention avec les enfants (et ados)
Camille Chenal - 2019 - Cultiver son attention et sa concentration avec la Sophrologie - Editions Eyrolles
A lire
Stanislas Dehaene, Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines, éd. Odile Jacob, 2018
Jean-Philippe Lachaux - Les petites bulles de l'attention. Se concentrer dans un monde distraction, de , éd. Odile Jacob, 2016
Jean-Philippe Lachaux - Le Cerveau Funambule. Comprendre et apprivoiser son attention grâce aux Neurosciences. Odile Jacob.2013
Jean-Philippe Lachaux - Le Cerveau Attentif. Contrôle, maîtrise et lâcher-Prise. Odile Jacob.2011
Jean-Philippe Lachaux - Programme Atole